Je connais Martin depuis qu’il est tout petit. Il avait un an quand j’ai fait sa connaissance. Aujourd’hui, il a 30 ans. 30 ans !
Je me souviens d’une fois, il avait environ cinq ou six ans, un âge où on ne fait plus la sieste parce qu’on est grand ; la veille, il s’était couché tard. Forcément, l’après-midi, il était fatigué, de mauvais poil. Son père lui disait : mais va te reposer !
Il répondait : chkrogneugneu, non ! Suis pas fatigué !
Et il continuait à râler. A un moment, il a claqué la porte. Son père lui a dit : oh, ça va ! Qu’est-ce que tu fais, là ?
Il a répliqué : je vais me coucher !
Aujourd’hui, il a trente ans ! Il a eu un parcours scolaire sans encombre, il a décidé de faire une école d’ingénieur en logistique. Pareil, sans encombre. Il est parti faire un stage durant plusieurs mois au Mexique puis à San Francisco. Dans cette école, il a rencontré « une fiancée ». Ils ont décidé de s’installer ensemble dans une ville quelque part en France. Avant qu’ils ne vivent ensemble, ils avaient déjà trouvé du travail, lui dans une grosse boîte française du CAC 40. Voilà, à 23 ans, sa vie était toute tracée. Dans le rang.
Et là, il s’est dit que ça n’allait pas être possible. D’une certaine façon, il a de nouveau claqué la porte. Il a quitté sa copine ou ils se sont séparés d’un commun accord, je ne sais pas. Il a travaillé un an dans cette grosse boîte du CAC 40 pour mettre de l’argent de côté. Puis il est parti.
Il avait décidé avec un copain de partir de l’Alaska jusque tout en bas de l’Amérique latine. Pendant un an. Il a visité, rencontré des gens, bossé, fait du woofing, enfin il s’est éclaté.
Je me souviens de lui quand il est rentré, la peau hâlée, les yeux plein d’étoiles, souriant. Il savait quel sens donner à sa vie, dorénavant.
Il a cherché une ONG, pas n’importe laquelle, il a choisi l’ONG qui n’avait aucune subvention d’Etat ou de grosses sociétés, médecins sans frontières (celle-ci, je peux la nommer !). Et il est reparti. Il fait des missions en tant que logisticien. Il part au Congo, au Sud Soudan, partout où c’est la misère, un désastre écologique, la guerre parfois.
Alors, évidemment, il gagne nettement moins que dans sa grosse société du CAC 40 mais il est heureux. Et c’est sans doute l’essentiel.