Vendredi, j’ai vu Linette pour la dernière fois. Linette, c’est une grande belle femme, toute fine qui paraît un peu fragile, au sourire un peu triste. Gentille sûrement, aimable en tout cas. C’est à elle que je donne mes chèques tous les vendredis, à la banque. Elle est au guichet. Ce vendredi était la dernière fois car elle part en retraite. Je suis contente pour elle.
Elle ne sera pas remplacée.
Dorénavant, je déposerai mes chèques dans la boîte aux lettres ; il n’y
aura plus personne à l’accueil.
Oui mais si je veux prendre rendez-vous avec ma conseillère ?
Il y aura des automates. Vous vous laisserez guider par l’automate ; vous pourrez choisir quelle personne, vous voulez rencontrer, vous choisirez le jour et l’heure en cliquant.
Moi : ????
Et quand j’arriverai à l’heure du rendez-vous, qui préviendra ma conseillère ?
Vous le signalerez par l’automate !
Moi : ????
Je me dis que pour en arriver là, ma banque doit être au plus mal, au bord de
la faillite pour réduire aussi drastiquement son personnel.
Jérôme Kerviel me revient en mémoire. A cause de « lui », ma banque a tout de même perdu en 2008 4.9 milliards d’euros ! C’est de sa faute à coup sûr si aujourd’hui, Linette est remplacée par des automates. Après tout, avec une telle perte, c’est normal d’être un peu juste financièrement.
En rentrant chez moi, j’ai fait ma petite recherche internet pour en avoir le cœur net. En 2018, la Société Générale a fait un chiffre d’affaires de 25 milliards environ. Cependant, elle a peut-être eu beaucoup de dépenses pour justifier cette compression de personnel que je me dis. A-t-elle fait des bénéfices ? Oui, pas loin de 4 milliards, une hausse de 38 %, une bagatelle. C’est sûr qu’on n’est jamais trop prudent, il faut assurer ses arrières.
Quelle indécence !
Et que cherche-t-on à faire en remplaçant les gens qui ont
un rapport avec le public par des automates ? Pourquoi détruire tout
rapport humain ? Quelle déshumanisation ! C’est effrayant !
Je n’ai jamais réussi à finir Le meilleur des Mondes d’Aldous Huxley tellement
ça m’angoissait ! Je crois que la réalité est pire encore que ce livre !