Une belle personne

Habituellement quand je raconte un épisode de la vie de quelqu’un, je change son prénom.

Aujourd’hui, non. Non, aujourd’hui, je garde le vrai prénom. Il s’agit de Danielle.

Danielle, c’était mon amie, l’amie de beaucoup, beaucoup de gens.

Elle était née en 1950. Oh une babyboomeuse ! Je sais que les jeunes n’aiment pas beaucoup les boomers, ils leur attribuent toutes les catastrophes actuelles.

Danielle est issue d’une famille ouvrière. Elle a passé son bac. En 1968. Peu de jeunes femmes passait le bac à cette époque. 1968. En terminale, elle découvrait la mixité en classe et le droit d’être en pantalon, pour la première fois. Et « la révolution ». Elle nous racontait tout ça, en rigolant, avec passion. Sa passion. Sa passion de la vie, de l’humain était déjà là..

Après le bac, elle est devenue instit. Elle aurait aimé être styliste. Ses parents n’avaient pas les moyens de lui payer ce genre d’études. Pas grave, elle a été instit. Et elle s’est investie dans son travail, encore avec passion. Chez elle, elle créait. Couture, broderie, créations de bijoux, déco. Elle adorait ça.

Elle aimait son métier d’instit, elle aimait les enfants. Elle fourmillait d’idées pour eux. A chaque carnaval d’école, elle fabriquait son déguisement. Une année, elle était en éléphant, l’année d’après, je ne sais plus mais c’était unique, original et drôle. Les enfants l’adoraient. Elle les adorait. Une fois, je lui avais demandé : mais tu crois, que moi, un jour, je serai capable d’élever des enfants ? Elle m’avait répondu : si tu sais t’occuper des enfants des autres, tu sauras t’occuper des tiens.

Elle avait en elle une profonde humanité, elle savait écouter les autres, les rassurer, les épauler, les protéger. Elle en a épaulé plus d’un, plus d’une. Sans effort, c’était normal pour elle. Elle installait des matelas dans la chambre, pis voilà, c’était simple et chaleureux.

Elle n’a jamais failli à ses combats. Elle a toujours défendu la liberté, les minorités, l’égalité, elle était féministe parce qu’elle estimait que les femmes avaient autant de droit et de place que les hommes. Elle était juste, elle ne voulait pas que les gens restent sur le bord de la route, elle ne voulait pas la misère, elle voulait l’éducation, la culture pour tous.

Elle est descendue maintes et maintes fois dans la rue pour défendre l’école, l’éducation, elle est descendue dans la rue contre Le Pen quand il s’est retrouvé au deuxième tour face à Chirac. Elle est descendue encore dans la rue contre la loi travail bien qu’elle soit déjà en retraite. Elle a chanté avec ses copines les Josette rouges pour défendre les Perchés, ces soignants de psychiatrie qui ont passé plusieurs semaines sur un toit pour réclamer plus de moyens pour soigner leurs patients.

A la retraite, elle faisait aussi partie d’une association pour aider les migrants à monter leur dossier.

Et puis à côté de ça, elle était drôle, si drôle. Elle ne se prenait jamais au sérieux. Jamais. Elle décapait dans l’ironie, le cynisme, la moquerie. Juste pour rigoler, s’amuser. Elle pouvait se moquer d’elle-même, on pouvait se moquer d’elle, ça ne lui faisait pas peur. Elle était dans la vie, nous entraînait. Que de bons moments passés. Je pensais que ce serait éternel. La vie était devant nous.

Elle me disait parfois avec son si joli sourire, ses yeux pétillants, à demi fermés : nanmè, t’as vu l’âge que j’ai, va falloir que je me décide à être sérieuse.

Elle est partie avant d’être sérieuse. Trop tôt.  Nous l’aimions telle qu’elle était.

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